From Hell, de Alan Moore et Eddie Campbell




Résumé : en 1823, le detective Fred Abberline revient sur l’enquête qui a marqué sa carrière à Scotland Yard : l’affaire de Jack l’Eventreur, figure mystérieuse (et jamais appréhendée) responsable des meurtres de cinq prostituées dans quartier de White Chapel, à Londres, du 31 août au 9 novembre 1888. Il apparaît très vite, cependant, qu’Abberline connaît l’identité du tueur et qu’il partage le secret avec d’autres… mais alors, pourquoi ne pas avoir parlé ? Et, par dessus tout, qui avait à l’époque assez de pouvoir pour empêcher ceux qui connaissaient l’identité du tueur de révéler la vérité ?


J’ai lu ce roman graphique dans le cadre d’un cours de littérature sur le modernisme que j’ai suivi au Canada pendant ma L3 (j’étais en échange universitaire dans l’Ontario), c’était la première fois que j’entendais parler des deux auteurs. J’ai appris à cette occasion qu’Alan Moore est en fait celui à qui l’on doit V for Vendetta (mais si, vous savez, il y a eu une adaptation cinématographique et c'est de là que viennent les masques des Anonymous!) ou encore, entre autres, The Watchmen - une pointure du genre, donc. Pas étonnant, par conséquent, que ce pavé graphique (572 pages au compteur tout de même) soit si complet et passionnant. 

C’est une fiction historique assumée comme telle que nous propose Moore avec cet ouvrage. En se basant sur des faits reels, il tente de combler les pans manquants de ce fait divers historique, peut être le plus connu d’entre tous, et qui passionne encore aujourd’hui (la preuve). En effet, les personnages présents dans ce roman graphique ont pour la plupart bel et bien existé. Fred Abberline travaillait bien pour Scotland Yard, Sir William Gull officiait bien en tant que médecin de la famille royale, et Walter Sickent était bien un artiste que ces meurtres passionnaient. 

Comme beaucoup de théories entourant ce mystère sanglant, Moore choisit d’entrelacer la série de meurtres et la royauté britannique, sur fond de scandale adultère. Mais au final, l’identité stricte et la motivation du meurtrier ne sont pas le point de focal du roman, dont l’intérêt réside plutôt dans l’analyse psychologique du-dit assassin. Moore explore les raisons qui le poussent (plus ou moins malgré lui) à agir, et crée un personnage sombre et profond que l’on découvre par intermittence au fil des pages, par le biais de flashbacks qui remontent progressivement de l’enfance à son âge adulte et qui alternent avec l’intrigue elle-même. Cette plongée dans le passé du tueur permet de le découvrir en filigrane, petit à petit, et cette proximité avec le personnage met de plus en plus mal à l’aise au fur et à mesure que l’histoire progresse : on finit par « comprendre », malgré nous, cet assassin.

Au-delà du tueur, la ville de Londres (et le quartier de White Chapel plus particulièrement) joue un rôle tout aussi majeur dans le mythe entourant cette sordide affaire. Je me souviens que ma professeure de littérature allait jusqu’à dire que Londres constituait un personnage à part entière dans ce roman graphique, et je suis assez d’accord. Les illustrations renforcent bien évidemment cela, et le choix de Moore de n’utiliser que du noir et blanc peut bien sûre être vu comme un hommage à ce Londres gris de la fin du XIXè siècle. Au fil des pages et à mesure que différents dessins de la ville apparaissent, il devient évident que le dessinateur a pris un reel plaisir à representer la capitale mondiale de l’époque.

Cette importance des illustrations est aussi primordiale de part le sujet traité : l’une des caractéristiques principales responsables de la renommée des meurtres de Jack l’Eventreur est la violence qui les accompagnait. Là encore, Moore s’est surpassé : les scènes des meurtres sont d’une violence crue et sans pitié pour le lecteur, qui n’est épargné que grâce au monochrome évitant une confrontation directe avec le rouge sang qui aurait inévitablement recouvert les pages concernées si l’auteur avait fait le choix de la couleur. Pourtant, paradoxalement, le noir et blanc paraît parfois accentuer la violence de certaines scènes - comme si l’on ne pouvait s’empêcher de voir les couleurs qui auraient dû s’y trouver. Je trouve cet équilibre entre violence graphique et éléments laissés à l’imagination savamment dosée : s’il est parfois difficile de regarder certaines illustrations, un manque de réalisme aurait été reproché à Moore s’il avait simplement évacuer cette question en se refusant à le représenter ces scènes. 

Je conseille donc cette lecture à tous ceux qui voudraient à la fois en apprendre plus sur ce fait divers historique et son contexte (puisque les faits sont bel et biens avérés) tout en découvrant une proposition de réponse à ce mystère qui - aujourd’hui encore - tient plus d’un Sherlock en herbe en haleine ! 

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